Presque étranger pourtant
EAN13
9782889279913
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE ALLEMAND
Langue
français
Langue d'origine
allemand
Fiches UNIMARC
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Presque étranger pourtant

Zoé

Domaine Allemand

Indisponible
Hanté par son enfance, un homme revient dans la région où il a grandi, en
Allemagne, près de la frontière tchèque. Il s’installe avec sa femme et sa
petite fille, qu’il ne nomme jamais autrement que la « Petite ». Nostalgique
des paysages idylliques et paisibles de son lieu d’origine, il revient surtout
pour renouer avec son ami Vito, qui a perdu une jambe alors que les deux
adolescents s’étaient lancés dans l’ascension folle d’un bloc de grès. Peu de
temps après cet accident tragique, notamment à cause des réactions acerbes des
adultes qui les entouraient et d’une fugue magistralement ratée (cf dossier),
le contact a été rompu et l’amitié perdue. Depuis, le narrateur ne s’est
jamais débarrassé d’une culpabilité dont il devient clair petit à petit
qu’elle est à la fois ce qui motive son retour et ce qui l’empêche de se
retrouver tout à fait chez lui. Raconté dès les premières pages, l’accident
originel permet de placer le lecteur au plus près du narrateur. Les sensations
du personnage sont physiquement traduites avec une précision intense et des
images à couper le souffle. Plus qu’un retour au pays, c’est un retour à soi
que cherche le narrateur, une façon de renouer avec le monde et avec sa femme,
Christina. Les habitants épient derrière les haies et les rideaux, une menace
sur cette région marquée par la présence des mouvements d’extrême-droite et
néonazis – due notamment à la réunification maladroite entre l’Allemagne de
l’Est et celle de l’Ouest, qui a laissé beaucoup de régions de l’ex-RDA avec
un sentiment d’injustice. La nature joue un rôle à part entière. Le somptueux
paysage de grès caractéristique, tout de colonnes et de roches erratiques, se
révèle aussi menaçant que menacé. Menacé par les camps de néo-nazis en mode
survivaliste qui la souillent ; menaçante à cause des perturbations
climatiques qui conduisent à une terrible crue de l’Elbe, un véritable déluge
qui clot le roman sur des accents bibliques. Le talent poétique de Thilo
Krause se retrouve dans la construction faite d’échos entre le présent et les
souvenirs d’enfance Bref, intimité (événement tragique, communication
difficile avec sa femme) versus événements mondiaux contemporains. Pas de
psychologie. Images fortes. Malaise, mais vitalité. Univers très végétal et
rapport intime à la nature : c’est pour notre catalogue! Extraits : « Chez soi
» qu’est-ce que c’est ? : Une journée venteuse. Devant moi, les pins
ondoyaient. De-ci, de-là. Je me suis demandé comment c’était, de se laisser
ballotter de-ci, de-là, tout en restant toujours fixé au même endroit. Se
balancer en haut. Rester planté en bas. Alors inutile de songer à se rendre
quelque part, à rentrer chez soi, ou à s’en aller. Où que ce soit. Quand nous
étions loin, il semblait que c’était ici, et maintenant que nous sommes ici,
qu’est-ce que j’en sais, où c’est. J’aurais préféré le savoir dès le début.
Alors nous n’aurions pas dû partir du tout, ou bien nous serions allés
ailleurs. Nous ne sommes que trois. Pourtant, nous traînons tout derrière
nous, chargés de tout notre barda. Ceux qui étaient nos amis et ceux qui sont
nos amis, la famille, les vivants, les morts. Le narrateur est à la dérive, il
a passé la nuit dehors : Notre maison comme un navire, mais pour l’heure, je
ne suis plus à bord. J’ai laissé la porte ouverte. Entrera qui voudra. Sur le
côté du lit, à côté de moi, il y a encore les affaires que Christina n’a pas
emportées. Ce sont les belles robes, les robes d’été, les élégantes, très peu
d’étoffe. Je ne peux respirer que superficiellement. Il y a quelque chose qui
cloche avec mes côtes. Si je ne me lève pas de temps à autre et si je ne me
force pas à respirer plus profondément, j’ai des vertiges. Je me penche sur
les robes de Christina et j’imagine qu’elles portent encore son odeur, bien
qu’elles soient lavées de frais. Elles ne pèsent presque rien, elles
s’envolent dans la nuit, comme si elles avaient des ailes. Doucement, elles
descendent en vol plané jusque sur la pelouse. Il y en a une qui reste
accrochée au cerisier, mais à présent, le lit est vide, exactement comme les
armoires, exactement comme il faut être vide pour trouver le sommeil La grande
inondation évoque le déluge ou les années passées par les Allemands de l’Est
sous l’eau dans un système puis dans le suivant : Nous sommes ceux que Caspar
David Friedrich n’a pas peints : trois hommes contemplant l’inondation.
Quelques pignons, les cimes des arbres et l’escalier aux marches usées qui
descend à travers les jardins ouvriers jusque dans l’eau, là où tout passé
commence, parce que toutes les choses qui ont été englouties n’ont ni présent
ni avenir. Même si elles sont encore là, elles existent désormais dans un
autre monde, inutiles, hors d’usage, et avec elles, tout ce temps qui est
passé. Brusquement, tout cela ne sert plus à rien. Personne n’aurait pu
peindre cela. La grande inondation en nous, les années sous l’eau dans un
système puis dans le suivant. L’ascension, ensemble : Dans la forêt, nous
faisons du slalom entre les troncs. Je vais devant, les autres serpentent
derrière. La Petite fait pivoter ma tête. Je dois marcher dans cette
direction-là. C’est ainsi que nous rejoignons le sentier touristique et le
pied de la falaise. Je fais descendre la Petite de mes épaules, la dépose là
où commencent les étais de fer. Nous attaquons l’ascension. J’enferme les
mains de la Petite dans mes mains, j’enclos son corps dans le mien. J’entends
son souffle, je sens comme elle se tient, pendant que nous grimpons toujours
plus haut. Christina aide Brigitte tandis que Jan et Vito, en silence et
concentrés, se hissent d’étai en étai. Il faut rentrer la langue, dis-je à la
Petite. Elle transpire. C’est le moment où le paysage s’ouvre. Ne pas regarder
en bas. Je l’enveloppe autant que je peux dans mon corps. Encore dix mètres,
et nous serons au sommet. Nous serrons tous la main à la Petite et nous
l’embrassons. Elle est rayonnante. Thilo Krause est né à Dresde, en ex-RDA, en
1977. Au début des années 2000, il quitte sa ville natale pour entreprendre un
doctorat à la Haute Ecole Polytechnique de Zurich (EPFZ). Il y vit aujourd’hui
avec sa famille de front recherche scientifique et activité littéraire. Il est
l’auteur de trois recueils de poèmes : le plus récent, Was wir reden, wenn es
gewittert (« De quoi parlons-nous pendant l’orage) est paru en 2018 chez
Hanser et a reçu le prix Peter-Huchel. Son premier recueil de poème, lauréat
d’un Prix suisse de littérature, est traduit en français aux Editions d’en bas
en 2015 par Eva Antonnikov : Und das ist alles genug / Et c’est tout ce qu’il
faut. Presque étranger pourtant est son premier roman. Il a reçu le Prix
Robert Walser, le même que celui reçu par Elisa Dusapin pour Hiver à Sokcho,
et le prix Nicolas-Born du premier roman. La traductrice : Marion Graf est née
à Neuchâtel en 1954, de père suisse et de mère française. Elle a étudié les
lettres (russe, espagnol, français) à Bâle, Lausanne et Voronej. Elle est
traductrice littéraire du russe et de l'allemand, ainsi que critique
littéraire pour différents médias et collabore à des revues et ouvrages
spécialisés. Elle dirige aujourd'hui la Revue de Belles-Lettres et a reçu de
nombreux prix, notamment le prix spécial de traduction 2020 de l’Office
fédéral de la culture pour l’ensemble de son œuvre.
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